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Promenade du rêveur solitaire
La plupart du temps on se
contente de la traverser. Parfois on prend même ses
jambes à son cou (c’est le premier effet
Kiss-Cool/Space Mountain du matin, marche à tous
les coups) sans s’attarder plus que ça sur Main
Street, USA ; cette petite ruelle où ça se
bouscule au portillon aux heures de pointe, si
richement ornée et détaillée d’un bout à l’autre que
notre regard finit toujours par entrer en état de
combustion spontanée. Multitude chromatique, pléiade
de formes, de parfums, de souvenirs, d’impressions…
Toutefois, ce capharnaüm architectural est un peu
plus qu’un vaste
mall commercial nanti d’une solide parure
victorienne, et les nombreuses échoppes savent
prendre du gallon quand on commence à les observer
d’un peu plus près. Quelques petites blagues, par-ci
par-là, des hommages ainsi que pas mal de secrets se
dévoilent.
Il vous suffit de lever le regard pour contempler
Main Street dans les yeux, ou plutôt dans les
fenêtres. Les imagineers s’amusent souvent à faire
de ces lucarnes autant d’hommages discrets à
quelques-uns des grands noms de la compagnie et,
même si la plupart des visiteurs resteront
indifférent face à tant de palabre, le jeu de piste
n’en devient pas moins croustillant pour les autres.
La prochaine fois que vous vous rendez à
Marne-la-Vallée, si l’envie de tester l’imminente
attraction consacrée à Buzz Lightyear ne se
fait pas sentir plus que de raison, amusez-vous donc
à flâner… C’est ce que j’ai fait lors de ma dernière
visite il y a quelques mois, j’ai pris mon temps
ainsi que mon appareil photo et j’ai passé Main
Street au peigne fin, j’ai rendu visite aux
autochtones, revu quelques vieux amis, et je m’en
suis même fait de nouveaux.
Si vous voulez bien me suivre, je vais vous les
présenter.
L’hommage le plus légitime est sans celui rendu aux
talentueux personnages qui se cachent vraiment
derrière Disneyland Paris, voici donc une petite
dédicace en faveur des directeurs artistiques du
parc ; Jeff Burke, Tim Delaney, Tom Morris, Eddie Sotto et Chris Tietz
(1), respectivement responsable de
Frontierland, Discoveryland, Fantasyland, Main
Street, USA et Adventureland. Voilà un peu nos
Fabulous Five à nous, mais si vous voulez vous en
rendre compte par vous-même, la fenêtre est vissée
sur le cabinet de formation des dentistes du Docteur
Bitz, une enseigne mitoyenne du magasin Bixby
Brothers sur Town Square. « Our Business Is To Make You Smile » ;
plutôt comique le slogan pour des
dentistes/imagineers ;)
Deux formateurs veillent tout de même au grain.
Certes ce ne sont pas des dentistes mais les deux
journalistes à la tête du Main Street Gazette,
j’ai nommé Marty Sklar ainsi que son second Tony
Baxter (2).
Mon premier, qui commença sa carrière au Royaume
Magique en vendant le Disneyland News, est
aujourd’hui vice-président de
Walt Disney
Imagineering.
Mon second, qui est l’un des grands noms de la
maison (papa de Big Thunder Mountain et
Splash Mountain par exemple),
comprit rapidement à quel point le projet Euro Disney
incarnait une chance inouïe de faire du Grand Art et
se rua sur l’occasion en demandant la supervision
artistique du parc. Chose qu’il obtint.
« Nous sommes derrière les manettes pendant que vous
faites la fête.»
J’ai privilégié l’artiste au mécène, mais je
n’allais pas non plus l’oublier, l’inscription qui
trône au-dessus de l’Emporium (3), juste à gauche de
l’édifice en briques rouge, est là pour en témoigner
: Ci-gît Michael Eisner ainsi que son vice-président
de l’époque, le regretté Franck Wells.
L’épitaphe est amusante : « Leading the parade since
1884 », les deux compères sont en effet rentrés à la
tête de la Walt Disney Company en 1984, et les
imagineers qui ne se sont pas trompés d’un siècle
ont juste fait en sorte que la date corresponde à
l’époque prétendue dans laquelle se situe Main
Street. Homme d’affaires avisé mais aussi passionné
par les prouesses artistiques d’Imagineering, Wells
contribua énormément au renouveau de la société à
partir du milieu des années 80. Dans l’ombre
inévitable du second, il eut dit-on pas mal
d’influence sur Michael Eisner, tempérant ses
ardeurs tout en observant d’un œil plus réfléchi les
projets du grand patron, car Mickey n’aurait sans
doute pas tant renoué avec le succès sans ces deux
impétueux personnages. Wells périt dans un accident
d’hélicoptère en 1994, et après sa disparition les
choses changèrent, en perdant son garde-fou Eisner
se mit quelque peu à déraper et ses décisions furent
souvent moins fructueuses (Ceci reste un avis
personnel…). En 1998 un pavillon des Walt Disney
Studios vit le jour en la mémoire du défunt ; le Franck G. Wells Building.
Quelques années plus tard, Disney lui dédicaça un
des deux Hong Kong Disneyland Railroad. Quoi de plus
légitime pour un amoureux des horizons lointains.
Il y en a une que j’ai découvert lors de cette
visite que je ne soupçonnais pas ; un hommage à
Philippe Bourguignon (qui succéda en 1993 à Robert
Fitzpatrick à la tête du site) ainsi qu’à son
second de l’époque, Steve Burke (4), directeur général.
Deux hommes d’envergure qui contribuèrent énormément
à garder la tête de notre parc hors de l’eau dans
ses rudes premières années, c’est principalement à Bourguignon que
l’on doit Space Mountain en 1995 et c’est, dit-on,
parce que Michael Eisner n’a pas voulu lui accorder
le budget nécessaire pour d’autres projets
grandiloquents que Bourguignon a préféré cédé sa
place. Burke a fini patron de Comcast (mais si
vous connaissez, le
câblo-opérateur américain qui a tenté une OPA
sauvage sur Disney) tandis que Philippe est devenu
GO en chef
du Club Med (peut-être aussi à l’origine des Bronzés
3, who knows).
Le petit jeu de mot est cocasse, l’inscription fait
allusion à une école de musique et « brass » qui
se traduit dans ce contexte par cuivre
signifie aussi dans un langage plus familier patron,
d’où le « Top Brass ».
« And the band plays on… » En effet, avec eux la
musique continue…
Par moment certains secrets ne se laissent pas
amadoués comme ça ; j'ai passé de longues heures à
rechercher quelques informations sur deux de ces
trois personnages (5) sans résultats satisfaisants. Eric
Van Dijke et Tom Jacobson orneront encore
anonymement (pour moi en tout cas, mais si quelqu'un
en sait plus, qu'il n'hésite pas à me
contacter
!) une des fenêtres de l'enseigne Bixby Brothers
(côté Flower Street). En revanche,
aidé par mon fidèle assistant Google,
Jean-Luc Choplin a quand même fini par vider son sac
; il fut de 1989 à 1995 le directeur artistique des
divertissements et spectacles du parc, pour la
petite histoire il a même été nommé en
95 vice-président du département creative
development de la Walt Disney Company, avant de
quitter la maison en 2000...
Notre prochaine fenêtre est juste à deux pas (deux
planches, pardon) de la précédente, fenêtre
qui fait allusion à une personnalité beaucoup moins
anonyme chez Disney (chez Google surtout), le
prénommé Dick Nunis (6), « consultant en tout,
voyant de renommée mondiale » . Nunis se trouva un
job d’été à Disneyland en 1955, été qui s'avéra
plutôt long quand on sait qu'il ne quitta la
compagnie que 44 ans plus tard. Pendant ces
nombreuses années,
Dick fut tour à tour formateur des employés du Magic
Kingdom californien, superviseur des attractions,
directeur des opérations en 1961 avant de contribuer
au masterplanning de Disney World. En 1971 il fut
nommé vice-président exécutif de Disneyland et Walt
Disney World. Il supervisa de plus la conception d’EPCOT et
des Disney-MGM Studios et fut rappelé à l’ordre pour
Tokyo Disneyland et Disneyland Paris. Il termina sa
carrière en tant que président de Walt Disney
Attractions.
« Consultant en tout » ? il ne l’a pas volé sa
fenêtre !
Afin de prouver à quel point Main Street recèle
quantité de corps de métiers, levez donc la tête au
dessus de l'une des entrées de Disney's Clothiers
et vous allez bientôt débusquer... un taxidermiste
(7). Une manufacture dirigée par Sam
Hutchins qui n'est autre que le directeur du
merchandising d'Euro Disneyland de l'époque.
Préfigurant peut-être l’avènement de la Disney
Cruise Line, les imagineers se sont amusé à rendre
hommage au frère de Walt, Roy Elias Disney, en
l’affublant ici du rôle de capitaine de navire
(8).
Point n’est besoin de ramer bien loin pour débusquer
l’allusion, après la mort de son frère c’est bel et
bien Roy qui décida de reprendre le flambeau
(repoussant de fait à plus tard son souhait de
partir à la retraite). Le rêve floridien de Monsieur
Disney se devait d’être mené à bout, ainsi sous
l’égide de Roy le capitaine parvint à tenir la barre
sans changer le cap, même si les vents du désarroi
soufflaient de plus belle chez Mickey à la fin des
années 60… « En ce jour que vous allez bénir, réservez une
croisière qui s’avère être un vrai plaisir ».
Une autre fenêtre rend grâce aux frères Disney
au-dessus du Boardwalk Candy Palace (9),
voici d'ailleurs ce qu'elle raconte : « Deux frères,
rêveurs et
faiseurs ; si nous pouvons le rêver, nous pouvons le
faire ! - Roy O. Disney & Walt Disney : Fondateurs
et Partenaires ».
Beaucoup d’artistes, pas mal de vieux roublards de
chez Disney, cependant, Main Street sait aussi quand
il le faut mettre ses pieds (ses pavés ?) dans les
arcanes de l’économie, comme en témoigne cette
inscription (10).
Monsieur John Forsgren a longtemps été employé par
l’Oncle Picsou ; occupant de 1986 à 1990 le poste de
vice-président et trésorier de la Compagnie à
Burbank, puis chargé des finances d’Euro Disney
(1990-93) avant d’y être nommé vice-président
jusqu’en 1994.
Judson Green n’a pourtant rien à lui envier, il a en
effet occupé le poste de chairman of the theme parks
and resorts (une place occupée aujourd’hui par Jay
Rasulo), supervisant de fait les deux domaines
américains, Tokyo Disney Resort, Disneyland Paris
ainsi que la Disney Cruise Line. Quand on sait que
pendant son règne les revenus ont plus que doublé,
on comprend pourquoi le bonhomme a hérité d’une
petite fenêtre sur notre rue préférée…
Après les dentistes, les financiers, les rêveurs
voire même les taxidermistes, Main Street accueille
son chirurgien en la personne du Docteur James Cora
(11). Encore un qui se faufila
par la petite porte de Disneyland en tant que cast member, peu de temps avant
d’être repéré par Walt Disney en personne. Il fut,
comme Nunis, à la tête du recrutement au sein de la
Disney University, et pendant les années qui
suivirent, Cora ne cessa de grimper les échelons.
Ainsi, fort de son expérience acquise à Disneyland
il se chargea d’exporter les méthodes de la maison
en Floride et prit part à l’inauguration du nouveau
Magic Kingdom. Dès 1974, alors qu’il était au
côté de Dick Nunis dans la branche Walt Disney Attractions, il
revitalisa les procédures opérationnelles de
Disneyland avec ses nouvelles méthodes, devenant
ainsi l’un des trois directeurs de production du
parc, responsable de Fantasyland et Tomorrowland.
En 1979 Jim Cora se vit attribué le poste de
Directeur des Opérations au sein du projet Tokyo
Disneyland, un poste qu’il ne garda pas longtemps
puisqu’il fut bientôt promu vice-président de Walt
Disney Productions Japan ; il s’y installa
d’ailleurs afin d’apporter sa solide expérience à la
Oriental Land Company (propriétaire de Tokyo Disney Resort).
De retour en Californie en 1983, nommé
vice-président de Disneyland International, il eut
bientôt à se charger des négociations avec l’état
français au sujet d’Euro Disney Resort, jouant un
rôle clef dans la supervision de tout le projet.
Il finit sa carrière en retournant vers l’Orient,
s’occupa du second parc japonais
DisneySea, et
s’assura du succès de tout le site. Il prit sa
retraite en 2001 après 43 années passées sous
l’égide de la petite souris.
Après ces incessants allers et retours historiques à
tous les coins de rue, une courte pause est
généralement la bienvenue. J’opte personnellement
pour une petite virée du côté du Coffee Grinder,
généralement calme en pleine après-midi. L’ambiance
est reposante dans ce petit coin qu’est Market
Street, on se trouve une chaise en fer forgé ainsi
que la table qui va de pair (un duo de ferronnerie
qui doit coûter à lui seul aussi cher qu’une des
façades factices des Walt Disney Studios, sic) et on
savoure son nectar. Le regard
a vite fait de se perdre sur les innombrables
détails
architecturaux de la ruelle, on tend
l’oreille, amusé par un élève en train de s’évertuer
sur un piano, juste au-dessus, bref, on profite du
moment et on se rend compte à quel point Disney a
donné dans le détail à Paris, Main Street est un
lieu qui fourmille d’activités, on entraperçoit une
agence de détectives privés à l’étage, une
blanchisserie,
on trouve même un atelier de confection de corsets
juste au-dessus de la Ice Cream Company, plus loin
la façade plus austère du Main Street Gazette
suggère l’impartialité et le professionnalisme de sa
rédaction (on en viendrait presque à vouloir
enfourcher son vélo pour jouer à Paperboy dans une
telle ambiance). Ineffable.
Tout ce chambardement rappelle Main Street telle que
Walt Disney l’avait d’abord rêvée : des ruelles au
look d’antant avec de vrais commerce ; un vrai
marchand de chaussure, une petite boucherie, une
épicerie, un salon de coiffure, une boulangerie,
etc. C’était son souhait, recréer un début de
communauté dans un décor idyllique (EPCOT
trouverait-il donc ses racines ici ?), faire renaître
l’espace de quelques pâtés de maison son Amérique
d’antan, l’Amérique de la petite ville de Marceline
dans le Missouri (le prétendu point de départ de
Main Street, dit-on) ; loin du fracas de la vie
quotidienne dans ce lieu dédié aux piétons
(exceptionnel pour une société américaine des années
50 vouée au culte de l'automobile et à
l'individualisme). Un souhait qui se révéla vite
infaisable, et l’utopie mercantile tranquille de
Disney s’est transformée au fil des décennies en une
machine à merchandising bien rodé, toutefois ces
aspirations refirent surface en Europe et quelques
derniers souffles d’authenticités apparaissent
encore ici et là, souvenons-nous qu’à l’ouverture du
parc il était possible d’acheter l’une des trois
voitures de collection de Main Street Motors,
jusqu’à peu un vrai coiffeur possédait son petit
local au bout de Flower Street, et puis il y a
toujours quelques articles de qualité comme ces
objets en porcelaine de Chine (confectionnés sur
place) et, bien que factices, les saucissons
suspendus à l’intérieur du Market House Delicatessen
font place à des sandwichs pas si mauvais… Non, Main
Street est tout sauf uniforme, il suffit de bien
vouloir lui donner une chance pour le constater.
Bref. Concluons sinon après-demain nous y serons
encore (une petite rétrospective une prochaine fois
peut-être…).
Notre petite ballade victorienne
touche à sa fin. Il reste encore pourtant bon nombre
d'anecdotes à débusquer de ce coté du parc mais, si
vous voulez vous improviser détective, souvenez-vous
que vous aurez quand même de la concurrence (12)...
Un dernier conseil, on dit souvent que si les
briques pouvaient parler, elles en raconteraient des
vertes et des pas mures… À Disneyland, je vous
conseille plutôt d'aller interroger les fenêtres ;)
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